Transfert, pochoir ou manuel : le décor de la porcelaine | DemysTEAfication

8 mars 2014

Transfert, pochoir ou manuel : le décor de la porcelaine

dragon chinois

D'un point de vue strictement pratique, l'utilisation d'une porcelaine ancienne ou moderne ne change pas grand chose pour le buveur de thé ... et pour être un peu provocateur, j'irais même jusqu'à dire que les anciens, en présence d'une pâte de porcelaine moderne, préfèreraient vraisemblablement cette dernière à une pâte de leur époque ... Pourquoi ? Tout simplement car la pâte de porcelaine actuelle, avec son raffinage mécanique poussé et la disparition quasi totale d'oxydes ferriques, fait qu'aujourd'hui la porcelaine la plus bas de gamme atteint, voire dépasse, les standards de qualité élevés de la porcelaine impériale.

Par contre, il n'en serait certainement pas de même pour les techniques de décoration "modernes" que sont les transferts ou décalcomanies et autres utilisations de pochoirs ... Ces techniques de décor ( qui ne sont pas si "modernes" que çà, l'apparition de décors appliqués en décalcomanie datant, en Europe, de la première moitié du XIXème siècle ) étant la plupart du temps de qualité inférieure à ce qui se faisait avant leur utilisation.

Si le décor appliqué sur le contenant ne changera rien au goût du contenu, il est toujours utile de savoir si l'on ne vous vend pas du décor de grande série au prix du décor fait main ... et pour ceci, quelques "techniques" très simples permettent de faire rapidement la différence.

Pour bien comprendre quelles sont les porcelaines qui ne sont pas décorées manuellement, il faut d'abord comprendre comment s'effectue le décor manuel de celles-ci.

Techniques du décor manuel :

En premier lieu, il y a ce que j’appellerai le jeu des milles erreurs ...

Soba cup
7 tasses d'époque Edo ... cherchez les différences

Si on a la chance de pouvoir juxtaposer une série de pièces au décor identique de prime abord, on se rendra vite compte que des différences sont rapidement perceptibles, pour peu que l'on veuille bien y prêter un minimum d'attention : taille de tel ou tel détail, différence de placement, forme variable, élément manquant ou surnuméraire, ... . Tout cela traduit un décor peint à main levée, directement sur la pièce avant passage au four, que ce soit pour un décor sous couverte ou un décor sur couverte.

Si on a en main qu'une seule et même pièce qui répète sur plusieurs de ses côtés le même décor, on pourra, ici aussi, se prêter au même jeu ...

décor dragon rouge
Vase de fabrication contemporaine à décor entièrement fait à la main ... là encore, cherchez les "erreurs"

Là encore, les mêmes différences, parfois quasi imperceptibles en fonction de la dextérité du peintre, peuvent donc se remarquer plus ou moins facilement.

Mais le plus souvent, le décor ne se répète pas et il n'est pas possible de comparer plusieurs pièces similaires. Dans ce cas, il est nécessaire d'essayer de repérer certains traits caractéristiques de la peinture à la main.

Il faut se concentrer sur les traits, leur régularité et plus encore sur leurs défauts, sur la présence d'erreurs dans le décor, sur des chevauchements de traits qui n’auraient pas dû se produire, sur des débordements d’aplats de couleurs hors des traits qui leur servent de cadre ... naturellement, plus la pièce est peinte à la va-vite, plus les erreurs sont nombreuses :

bouteille chinoise pour tabac à priser
On pose d'abord quelques lignes directrices foncées, puis le fond dans un bleu plus dilué, donc plus clair, pour ensuite tracer les traits complémentaires dans un bleu moins dilué et donc plus foncé ... le tout en évitant de frotter la pièce car les retouches sont presque irréalisables ... pas le droit à l'erreur donc si l'on fait un décor fin ...

Ceci est donc moins valable pour les pièces réalisées avec un grand soin. Il faut alors se concentrer sur les différences de teintes. En effet, la couleur étant appliquée au pinceau, l'artiste ne peut réaliser le décor que touche par touche, ce qui se traduit par un certain dégradé dans la couleur des traits, le début d'un trait étant toujours plus foncé que sa terminaison :

porcelaine chinoise d'exportation

On remarquera également des ruptures de continuité, le peintre "rechargeant" son pinceau de couleur pour pouvoir continuer un trait ou la main du même artiste ayant légèrement bougée pour s'adapter à la forme de son support. De la même manière, les aplats de couleurs ne pouvant être réalisés en une seule fois, on peut y observer des traits de pinceau.

Tout ceci permet désormais de saisir rapidement la différence avec les autres techniques d'application de décors.

Transfert, décalcomanie, pochoir, sérigraphie :

Les transferts ou décalcomanie sont un moyen simple et surtout rapide d'appliquer un décor. La principale caractéristique du transfert est de fournir un dessin d'une parfaite régularité, le-dit transfert étant produit par une imprimante ou par sérigraphie.

décalcomanie sur porcelaine
Ligne parfaite et couleurs uniformes ... un certain manque d'âme ...

Cependant, il n'en a pas toujours été ainsi car les premiers transferts étaient faits à la main, donc ils étaient forcément plus ou moins irréguliers.

Ces derniers ont pourtant une caractéristique commune avec les transferts imprimés ou sérigraphiés, à savoir l'uniformité des aplats de couleur, dans lesquels aucun trait de pinceau n'est visible. Cela semble dû à une limitation technique ; en effet, la peinture manuelle ou mécanique est réalisée sur un support "papier" qui sert à transférer la couleur sur la pièce à décorer ce qui semble gommer les différences de teintes dans les aplats, la cuisson contribuant également à estomper les nuances.

Il faudra donc tenter de repérer les raccords dans le décor plus ou moins bien réalisé, les problèmes, pour les poseurs de décor, se rencontrant souvent sur les bords.

perle sacrée
Pile ...
trésors du Lettré
... et face

Des déchirures ou des pliures peuvent aussi se produire lors de la pose des transferts, la pose de décalcomanie étant presque un art à part entière. Naturellement, plus la pièce est petite, fine ou de forme complexe, plus les accidents risquent d'être nombreux, et ce ne sont pas ceux qui ont réalisé quelques maquettes en plastique d'avions, de bateaux ou de blindés dans leur jeune âge qui me contrediront !

Trésors du Lettré
Encore plus dures à poser que les cocardes de la Luftwaffe, les pivoines et les chrysanthèmes ...

La sérigraphie, qui consiste à appliquer une toile ajourée sur la pièce à décorer pour pouvoir y poser la couleur, fonctionne donc sur le même principe que le pochoir, mais est une technique plus "fine" et qui permet plus de régularité en général. La pose d'un décor grâce à la sérigraphie peut être décelée par l'utilisation d'une loupe, car la toile laisse de fines marques de treillis et les bords sont généralement moins nets qu'un décor de transferts imprimés, marqués par un phénomène ressemblant à des dents de scie, la loupe révélant de fines hachures en zigzag dues à la trame textile.

porcelaine japonaise
Décor appliqué par sérigraphie sur une porcelaine japonaise

Le pochoir est une technique relativement simple à mettre en œuvre et qui est certainement la moins onéreuse à mettre en pratique là où le coût de la main-d’œuvre est peu élevé, car une fois le pochoir réalisé, il peut être utilisé à l'infini et la pose d'un décor au pochoir est d'une exécution plus rapide que la pose d'un décor en décalcomanie. On remarquera cependant souvent des zones de raccords, plus nombreux car les pochoirs sont plus "rigides" que la toile utilisée en sérigraphie.

bone china
En général, quand il faut faire vite, on ne peut faire vraiment bien ...

Cette relative rigidité du pochoir entraine également des bavures de couleur, lors de l'application de celle-ci ou lors du retrait pas assez rapide du pochoir.

bone china
Deux traits pour le prix d'un ...

porcelaine d'époque Edo
Chaque trait est ici réalisé à main levée sur cette porcelaine

Mais le plus souvent, ce sont toute une combinaison de ces techniques qui sont utilisées, et cela même dans les porcelaines de très grande série.

bone china
Chauve-souris et décor stylisé faits au pochoir, lignes tracées à la main avec l'aide d'un "tour de potier", dragon chassant la perle sacrée en décalcomanie

bone china
Décor stylisé fait au pochoir, ligne faite à la main avec l'aide d'un "tour de potier", marque de fabrication et sinogrammes en décalcomanie
On l'aura compris, le décor des plus belles pièces, ainsi que des plus onéreuses et des plus anciennes, est normalement totalement réalisé à main levée, et la mention d'un décor réalisé à la main lorsqu'un transfert ( même réalisé manuellement ) est utilisé est, à mon sens, un abus de langage et relève presque de la malhonnêteté intellectuelle, jouant sur le fait que la clientèle de tels ouvrages n'est souvent pas capable de déceler la différence et croit de bonne foi acheter un décor fait à main levée.

9 commentaires:

TeaMasters a dit…

Encore un très bon article instuctif sur la porcelaine. Merci beaucoup.

Je suis d'accord avec toi que la porcelaine moderne a un aspect plus pur que l'ancien. Mais pour un buveur de thé, ce qui compte, c'est le rendu gustatif. Or, trop nombreuses sont les porcelaines modernes qui donnent un mauvais goût au thé (amer, astringent et/ou affaibli). J'en ai encore fait l'expérience ce matin!

Tsubo a dit…

Pourtant, il ne devrait pas y avoir de différence, la composition chimique de la pâte de porcelaine ne changeant pas de façon significative et devrait être assez vitrifiée pour ne pas être poreuse ... mais ce n'est pas toujours le cas à cause des types de cuisson modernes.

Ce qui amène ma question : La porcelaine utilisée ce matin était-elle neuve ?

TeaMasters a dit…

La porcelaine utilisée était l'achat récent d'une amie. On l'a bien nettoyé avant de nous en servir (pour la première fois, je pense). Comme elle vient de Chine, cela fait probablement déjà quelques mois qu'elle fut produite.
En fait, celle qui avait un meilleur goût n'était pas ancienne non plus, mais fabriquée il y a une dizaine d'années environ selon une méthode et des matériaux plus traditionnels et naturels afin d'imiter de l'ancien. Mais ce bon goût est encore plus marqué avec de vraies coupes anciennes et de bonne qualité (car il existe aussi de la mauvaise qualité dans l'ancien!).
La différence de goût peut être remarquable. Je t'encourage à tester tes différentes coupes avec le même thé pour voir par toi-même.

Tsubo a dit…

C'est bien ce que je pensais ... j'irais même jusqu'à formuler d'autres hypothèses : en général, cela se produit moins avec une porcelaine sans décor peint, un peu plus avec les porcelaines peintes sous couvertes et beaucoup plus avec les porcelaines peintes sur couverte ?

En fait, la céramique est un monde particulier, plus proche de la chimie et qui est régie suivant des règles immuables ou les mêmes causes produiront les mêmes effets. On pourra jouer sur tel ou tel effet en modifiant essentiellement type de cuisson/composé chimique dans l'engobe. Pendant longtemps, la céramique et notamment la porcelaine étaient considérés comme presque "magique" ... par exemple, pour obtenir la couleur rouge "sang de bœuf", une légende dit que les empereurs chinois faisaient jeter des esclaves dans le four au moment de la cuisson, ce qui a contribué à renforcer l'effet mystérieux de cette couverte lorsque de telle pièces étaient exportées ... on sait aujourd'hui que c'est le cuivre associé à une cuisson en réduction qui produit cet effet.


Tout ceci pour dire qu'il n'y a pas, pour la céramique, de matériaux "plus naturels" ... leur production pourra être éventuellement "plus traditionnelle", mais des aides mécaniques sont utilisées pour raffiner tel ou tel composant depuis au moins le 18ème siècle ... les avancées techniques "modernes" on juste rajouté un paramètres supplémentaire : un raffinage plus poussé, plus fin, meilleur au sens qualitatif pour la pâte de porcelaine.

Pour le processus de vitrification il en est de même : mêmes causes, mêmes effets : la chaleur associée à une réaction chimique ( un composé principal de kaolin associé à un fondant abaissant la température nécessaire pour la fusion ) entraine la vitrification, qui produite au 18ème siècle ou au 21ème siècle est la même, la cuisson au bois ou la cuisson au gaz n'ayant pas d'incidence sur un phénomène de vitrification mené à son terme.

Mais ... une vitrification plus ou moins bien accomplie laissera ou non à la pièce une certaine porosité ... celle-ci se repère par un examen de surface ( parfois à la loupe ) qui laisse une impression de "crénelage" ... cela ressemble aux pores de la peau ... cela se voit surtout aux endroits où un décor sous couverte a été appliqué ...sur la porcelaine ancienne, c'est presque inévitable, la cuisson au bois étant difficile à tenir en régularité et en longueur.
C'est un problème que ne posent pas les fours au gaz ... par contre, la volonté de faire des économies peut entrainer à raccourcir le temps de cuisson, ce qui aura le même effet ...

Tout ceci pour dire que, contrairement à une idée largement répandue, la porcelaine n'est pas imperméable, mais est micro-poreuse. Elle est certes largement plus imperméable que le grès, mais elle l'est moins que le verre ... et plus la cuisson a été mal réalisée, plus elle sera poreuse ... La porcelaine ne retiendra cependant pas les arômes fins et volatils, et ne se culotte donc pas. C'est aussi pour cette raison qu'elle ne modifie pas le goût du thé et le restitue "tel quel" par rapport à un grès non émaillé, comme les théières de Yixing, par exemple.

Toutes ces considérations nous amènent au cœur du problème : pourquoi certaines porcelaines modifient elles le goût de leur contenu alors qu'elles ne le devraient pas ?

Car là, le problème est ailleurs et est souvent dû au fabricant ou aux revendeurs ...

Une mauvaise cuisson va théoriquement mal fixer les un décor sous couverte ... le bleu étant obtenu par l'utilisation de cobalt, des particules de cobalt pourraient être théoriquement "relarguées" puisque mal fixées ... mais si cela se fait, ce doit être en quantités infinitésimales et ne devrait pas altérer le goût ...

Tsubo a dit…

De la même façon, un décor sur couverte, qui nécessite donc une deuxième cuisson pour être fixé pourrait aussi "relarguer" des particules, ici de fer, chrome, manganèse, etc, etc ...là encore, les quantités doivent être si infimes que cela ne doit pas être perceptible au goût ....

Naturellement, dans ce cas de figure, les porcelaines anciennes sont avantagées puisque si elles ont été copieusement utilisées, de tels relargages diminuant au fil des utilisations, la pièce n'ayant plus rien à relarguer ...

Aujourd'hui est apparu un nouveau danger : celle des "émaux" sans cuisson ou "émaux à froid" ... appliqués sur couverte, ils peuvent le cas échéant tromper un œil non averti ... il s'agit en fait de résines chimiques et de colorant plutôt toxiques portées à la bouche ...

Alors pourquoi certaines pièces anciennes modifient-elles le goût tandis que des pièces visiblement plus récentes ne le font pas qu'elles aient été produites "à l'ancienne" ou pas ?
C'est là, à mon sens que réside la principale cause des variations apportées au goût : les additifs post-production :
il paraitrait que certains vendeurs enduisent légèrement leurs théières de Yixing d'huile pour leur donner un aspect un peu plus brillant, une certaine douceur, notamment quand elles sont neuves.

Aussi bizarre que cela puisse paraître, il en est de même pour la porcelaine ... les micro-rayures suite à manipulation lors de la fabrication, les pores éventuels, ..., ont pour effet de ternir l'aspect général d'une pièce ... pour éliminer ces "défauts", on va donc utiliser divers produits pour rendre la pièce un peu plus brillante ... et l'on ne va pas utiliser des produits aussi neutres que l'huile, la porcelaine "accrochant" moins ...

Le premier, c'est la paraffine ou un mélange en contenant, c'est inodore, incolore et insipide, mais comme il s'agit souvent de mélanges, ce n'est pas forcément le cas ... comme par hasard, çà commence à fondre petit à petit à partir d'une quarantaine de degré ... mais cela semble requérir un certain coup de main pour en poser une fine couche ...
C'est là que le deuxième produit est plus intéressant : il s'applique au pinceau sans sur-épaisseurs donc un enfant de trois ans peut le faire, est très peu onéreux, on en trouve facilement au coin de la rue et sous de multiples formes, on en fait du désodorisé et sinon, comme c'est un composé relativement volatil, il peut perdre rapidement ses odeurs les plus olfactivement perceptibles : j'ai nommé le pétrole !

Et autant dire tout de suite que cela risque de s'incurster et de ne pas partir au premier lavage, aussi poussé soit-il ... quand au goût ...

ce sont là, à ma connaissance, les produits les plus usités ... naturellement, l'inventivité humaine ouvre une large palette de produits, souvent dérivés du pétrole ou de la glycérine qui s'accrochent assez bien à la porcelaine et qui brillent suffisamment une fois appliqués ... parfait pour l'aspect plastique ... par contre pour le goût, c'est moins évident ...

Tsubo a dit…

Voilà, désolé pour la longueur de la digression qui aurait pu faire l'objet d'un article à part entière !

TeaMasters a dit…

Merci Nicolas pour ces informations et pour t'avoir donné la peine de me répondre de manière si détaillée.

En effet, l'utilisation de produits lustrants sur la porcelaine est une révélation! Voilà probablement un facteur important, de même que la porosité variable des porcelaines en fonction de l'importance des craquelures dans leur vitrification.

Quoiqu'il en soit, trouver une bonne coupe en porcelaine, c'est à dire qui donne un meilleur goût au thé que les autres, fait parti de ces petits exercices de dégustation de thé!

Tsubo a dit…

De rien ! Trouver une bonne coupe est en effet d'une importance capitale, tout comme trouver des vendeurs de céramiques sensibles à cela !

Tsubo a dit…

Dernier composant que j'avais oublié de citer : le goudron ...
Il sert à patiner une pièce récente que l'on veut faire passer pour ancienne : après avoir passé sur le corps de la pièce en porcelaine une pierre ponce pour reproduire des marques d'usure, on passe un pinceau enduit de goudron liquide sur l'ensemble de la pièce puis on passe un simple chiffon sur cette pièce pour enlever ce même goudron ... cette opération va avoir pour effet de teinter certaines zones, comme si elles étaient utilisées et "salies" depuis des centaines d'années ... c'est assez convaincant, du moins assez pour tromper le plus grand nombre ... par contre, pour le goût, c'est forcément moins convaincant